lundi 3 juin 2013

revue de presse : Le Prix du Livre Inter à Alice Zeniter pour Sombre Dimanche


Les 24 membres du jury du Livre Inter présidé par Geneviève Brisac ont récompensé cette année le roman hongrois d'Alice Zeniter. 

Le 39e Prix du Livre Inter a été attribué ce lundi matin à Alice Zeniter pour Sombre Dimanche (Albin Michel), un roman mélancolique et puissant qui brosse le portrait d'une famille hongroise sur plusieurs générations et traverse avec elle les soubresauts de l'Histoire. 

Présidé cette année par la romancière Geneviève Brisac, le jury de ce prix, dont l'attribution est souvent synonyme de succès pour le lauréat, est composé de 24 auditrices et auditeurs de France Inter représentant toutes les régions de France, précisent les organisateurs. 

Née en 1986, Alice Zeniter, qui a vécu en Hongrie, est normalienne, doctorante en études théâtrales et chargée d'enseignement à Paris III. Elle a publié son premier roman ,Deux moins un égal zéro (Editions du Petit Véhicule), à l'âge de 16 ans. Elle est aussi l'auteur de Jusque dans nos bras (Albin Michel), Prix de la Porte Dorée 2010 et Prix Laurence Trân 2011, et de la pièce Spécimens humains avec monstres. - lexpress

Avec 
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Sombre dimanche

Sombre dimanche,
Les bras chargés de fleurs blanches,
Un dimanche matin, poursuivant mes chimères,
La charrette de ma tristesse est revenue sans toi...

Imre pouvait entendre la voix du grand-père lui parvenir depuis l'extrême pointe du jardin triangulaire. Il n'avait pas besoin d'écouter la manière dont les consonnes disparaissaient dans le chant pâteux pour savoir que le vieil homme était ivre. Il beuglait la chanson avec une férocité peu commune.

Et depuis cet instant tous mes dimanches sont tristes. Les larmes sont ma seule boisson, la tristesse est mon seul pain...

La voix se mêlait au bruit du grand râteau. On entendait des coups sourds quand le grand-père heurtait la barrière avec la tête de l'outil, encore et encore. Le choc devait vibrer dans tout son corps, faire résonner sa colonne vertébrale tordue. Elle traversait son dos en diagonale comme une route qui prendrait un détour. La jambe morte du grand-père, celle qu'il traînait derrière lui avec peine, avait déséquilibré sa démarche jusqu'à imposer une pliure au chemin de ses vertèbres. Chaque activité physique causait au vieil homme des douleurs lancinantes. Mais il refusait d'arrêter de ratisser.

Les larmes sont ma seule boisson...

Le grand-père criait plus fort, et ce vers résonnait étrangement dans la bouche d'un homme que la palinka poussait à chanter. Imre savait que le grand-père en avait rangé une bouteille dans la poche arrière de son pantalon au moment de sortir dans le jardin. Une longue bouteille tubulaire, semblable à un produit cosmétique plus qu'à un flacon d'alcool.
Imre connaissait bien l'eau-de-vie du grand-père. Quelques mois auparavant, il avait ouvert la bouteille pour sentir et l'odeur lui avait brûlé l'intérieur des narines. Elle était pharmaceutique, brutale, elle remontait dans le nez en rongeant les muqueuses, en les cautérisant. Imre n'avait trouvé aucun lien entre les dessins d'abricots ronds et dorés qui décoraient la bouteille et cette senteur d'hôpital. La déception avait été violente.

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